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Esprit critique

Attention

Attention. Cette page contient de nombreuses méthaphores et approximations, et je ne suis pas un expert en psychologie. Les mécanisme cognitifs décrits ici sont des illustrations extrêmement simplifiées et inexactes. Il convient de garder l'esprit critique en lisant. Enfin il convient de toujours garder votre esprit critique, mais particulièrement ici. Et ça tombe bien, parce que cette page donne des pistes pour améliorer notre esprit critique.

Pour mieux comprendre ce qu'est l'esprit critique et ses enjeux, on va essayer de visualiser comment nous organisons et traitons les informations.

Nos pensées veulent être cohérentes

Essayons d'imaginer l'ensemble de nos savoirs, de nos croyances, de nos émotions, et de nos actions. Appelons ça notre système de pensées. Dans ce système, les pensées s'expliquent entre elles, par exemple :

Je bois de l'eau parce que j'ai soif

Je pense que la terre est sphérique parce que mon prof de physique me l'a dit et que je lui fais confiance.

On peut voir notre système de pensées comme un structure qui nous sert de base pour créer de nouveaux savoir ou de nouvelles croyances, et prendre de bonnes décisions. Les nouveaux savoirs et croyances sont alors ajoutées au système, ce qui le renforce. Cette structure est la représentation que l'on se fait du monde réel, et on veut qu'elle soit le plus fidèle (c'est à dire "vraie") possible pour minimiser nos chances de nous tromper.

Si on réalise que deux pensées sont en contradiction dans notre système (par exemple: on est persuadé que le travail est toujours récompensé de succès, et on voit notre meilleur(e) ami(e), échouer après avoir travaillé dur), celà nous crée une sensation très désagréable, la dissonance cognitive. C'est compréhensible : si deux pensées de notre système sont en contradiction, ça veut dire qu'au moins une des deux est fausse (c'est à dire qu'elle est contradictoire avec le monde réel), et donc que notre système est en partie faux, et donc nous fait prendre de mauvaises décisions.

La résolution d'une dissonance cognitive passe en général par une restructuration partielle du système. Ce processus est souvent très coûteux en énérgie et très éprouvant, parce que la restructuration crée des incohérences supplémentaires pendant un temps, et que tant que le système n'est pas cohérent, notre aptitude à prendre rapidement des décision fiables est diminuée. En particulier quand les pensées incohérentes sont à la base de notre système et donc qu'elles justifient beaucoup d'autres pensées, ou qu'elles font partie de l'identité que l'on utilise pour nos relations sociales, et que les changements à l'intérieur impliquent également des changement extérieurs (par exemple, la fierté que l'on attache à nos succès).

Et à cause de ça, au lieu de restructurer proprement notre système de pensée, on a tendance à chercher à retrouver de la stabilité au plus vite, quitte à ajouter des pensées potentiellement fausses dans notre système pour avoir à le restructurer le moins possible. Ca s'appelle la rationalisation : on ajoute une nouvelle pensée qui rends les pensées cohérentes. On peut voir ça comme "se trouver des excuses".

Par exemple, face à l'échec de notre ami(e), il nous sera tentant d'ajouter une explication comme "il/elle ne s'est pas donné à fond" ou "le succès est dans les compétences qu'il/elle à acquises", ou "ce n'est pas vraiment un échec", ce qui est peu coûteux et rapide. Alors que remettre en question "le travail est toujours récompensé de succès" veut dire aussi remettre en question notre propre succès et notre travail, et donc aussi une partie de notre identité sociale.

La dissonance cognitive est un mécanisme de notre esprit qu'il nous faut apprendre à anticiper et à gérer pour nous remettre en question plus efficacement, et donc mieux améliorer notre système de pensées. En particulier, il nous faut accepter la contradiction et l'incertitude pour pouvoir prendre le temps reconstruire notre système en accord avec le monde réel. C'est un travail sur soi qui demande beaucoup de temps et de persévérance.

Fiabilité d'une information

Comme nous venons de le voir, nous avons dans notre tête une représentation du monde réel, un ensemble d'informations relativement cohérent, qui nous sert à prendre des décisions. La qualité de nos décisions dépends de la précision de cette représentation (c'est à dire est-ce qu'elle décrit bien le monde).

Par exemple, supposons qu'un médicament X soit inefficace pour traiter une maladie que vous avez. C'est l'état du monde réel, la "vérité". Si vous pensez que X est efficace et que celà vous conduit à l'utiliser, vous subirez peut-être ses conséquences (retard de prise en charge, effets secondaires) pour rien, ce qui aggravera votre situation.

La précision de notre représentation est celle des informations qui la composent. C'est en général impossible de savoir strictement si une information est vraie ou fausse. On parle alors de fiabilité. Une information est "fiable" si elle a de grande chances d'être vraie. La fiabilité vient de la manière avec laquelle l'information à été obtenue.

Par exemple. L'information "Le médicament X est efficace" sera pour nous :

  • Peu fiable si c'est un inconnu qui nous l'a donnée.
  • Fiable si c'est une médecin en qui on a confiance qui nous l'a donnée.
  • Très fiable si elle fait l'objet d'un consensus entre de nombreux médecins et chercheurs qualifiés, et qu'ils nous fournissent en plus les études cliniques qui ont conduit à cette conclusion.

Ironiquement, ce qui est fiable ou non est aussi une information, et est aussi sujet à la fiabilité :

Je pense que la terre est sphérique (information) parce que ma professeure de physique me l'a dit et que j'ai confiance en elle (fiabilité). J'ai confiance en elle parce qu'elle a démontré ses compétences en physique tout au long de l'année (fiabilité de la fiabilité).

Il faut alors bien se rappeler que ce qui nous apparaît comme fiable ne l'est pas forcément, et vice versa !

Il est important de prendre en compte la fiabilité des informations dont nous disposons quand nous prenons des décisions. Si nos informations ne sont pas fiables, ou incomplètes, et que la décision est importante, il faut nous informer d'avantage.

Si un inconnu me dit que le médicament X est efficace pour guérir une maladie que j'ai, il faut que je trouve des informations plus fiables à ce sujet, par exemple auprès d'un médecin.

Des biais

La fiabilité de notre représentation du monde est aussi conditionnée par les limites de nos capacités de mémoire, de perception, d'imagination et de réflexion.

Voiçi quelques illustrations :

  • On peut imaginer approximativement la trajectoire d'une balle de tennis qu'on lance, mais pas la prédire parfaitement.
  • On peut imaginer quelques grains de sables, ou une plage, mais pas tous les grains de sable de la plage en même temps.
  • Il y a des tas d'informations auxquelles on n'a pas accès. Par exemple, vous ignorez probablement la complexité en espace de l'algorithme de Bellman-Ford.
  • Notre mémoire est faillible, on peut oublier des éléments, et voir même créer de faux souvenirs1.

Ces limites font que nous avons une tendance à l'erreur systématique, appelée biais cognitifs. Erreur systématique veut dire que nous faisons en général des erreurs dans la même direction.

Par exemple :

  • Nous accordons en général plus d'importance aux informations négatives que positives, c'est le biais de négativité2.
  • Nous avons tendance à chercher des informations et à les interpréter dans qui dans un sens confirme ce que l'on pense plutôt que chercher des éléments contradictoires (c'est le biais de confirmation)3.

Avoir conscience de nos biais cognitifs ne nous permet pas de nous y soustraire totalement, mais nous permet de les compenser en partie, avec des approches méthodiques, comme par exemple ce qui est fait en science.

Esprit critique ?

L'esprit critique, parfois appelé pensée critique, a plusieurs définitions en fonction des auteurs. Il en ressort en général deux grands axes.

  • La volonté d'améliorer sa représentation du monde par la remise en question permanente des savoirs acquis ou en cours d'apprentissage. Celà passe, par exemple, par la gestion de la dissonance cognitive.
  • Une approche méthodique et rigoureuse de cette remise en question.

L'approche méthodique est souvent faite par le biais d'une démarche scientifique. Pour celà, il faut comparer ce que prédit notre représentation du monde avec ce qui se passe vraiment dans le monde.

Par exemple : Je pense qu'écouter de la musique aide à apprendre. (c'est ma représentation) Donc, si j'écoute de la musique en révisant, j'aurai des meilleures notes. (c'est la prédiction) J'écoute de la musique en révisant, et je vois si mes notes s'améliorent. (c'est l'évaluation, sans mauvais jeux de mots) Si mes notes s'améliorent, alors ma représentation était bonne, sinon, elle était erronnée.

A cause de nos biais, en pratique c'est souvent plus compliqué de tester notre représentation.

Dans l'exemple précédent, nous avons étés sujet à un biais de confirmation : nous avons testé notre représentation en vérifiant qu'elle faisait des prédictions justes, mais sans vérifier qu'elle ne faisait pas de prédiction fausse. Cette nuance est importante. Par exemple, il se peut que parce que nous écoutions de la musique, nous ayons révisé plus longtemps, et que ce soit ça qui a amélioré nos résultats : ce ne serait donc pas la musique mais le temps de révision qui améliore les résultats.

Pour éviter de tomber dans ce genre de pièges, les scientifiques mettent en place des protocoles parfois très complexes4. Entre autres, pour montrer qu'une représentation est la bonne, il faut montrer que les autres représentations possibles ne donnent pas de prédictions correcte.

Travailler son esprit critique est primordial pour gérer la quantité énorme d'informations à laquelle nous sommes confrontés tous les jours à travers le numérique.

Quelques conseils pour approcher l'information

Pour aller plus loin

  • Le cours d'autodéfense intellectuelle de Richard Monvoisin, un peu long (plus de 10h) mais très complet, sur Framatube et YouTube.
  • Le site du Cortecs, qui contient de nombreuses ressources d'introduction à l'esprit critique.
  • La chaîne du Chat Sceptique, très pédagogique, sur Framatube et YouTube.
  • La série de vidéos d'Hygiène mentale, un peu plus détaillée, avec beaucoup de réflexions sur le paranormal, sur Framatube et YouTube.
  • La chaîne de Défakator, très intéractive et avec beaucoup d'humour, sur YouTube.

  1. Richard Monvoisin parle de ce phénomène dans l'épisode 3 de son cours 3 d'autodéfense intellectuelle, accessible en vidéo gratuitement sur Framatube (https://framatube.org/w/j2UbYiPJVB8gJxCXbVa43m ou YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=G7qsqvj24Ms). Attention, passé quelques minutes, la vidéo parle de sujets qui peuvent heurter (violences sexuelles). 

  2. https://en.wikipedia.org/wiki/Negativity_bias (article en anglais) 

  3. https://en.wikipedia.org/wiki/Confirmation_bias (article en anglais) 

  4. Un exemple de protocole est par exemple détaillé dans la vidéo de la chaîne La statistique expliquée à mon chat sur l'homéopathie, accessible sur Framatube (https://framatube.org/w/srvnAwzkGtKrkien7YyBGc) et sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=5HeJnQL7QM0).